rencontre avec K. – 2011-2014








































































En 2011, j’ai demandé à Sandrine Berger, photographe, que nous travaillions ensemble sur un projet spécifique dont le contexte était particulier. Je sortais d’un lourd et long traitement qui, certes, m’avait beaucoup affaibli et séparé de mon corps, mais qui m’offrait une espérance de vie augmenté de trois belles années. Urgence de l’éphémère, Constat du dépouillement.
Je regarde le travail de Sandrine depuis ses prémices, quand nous étions encore étudiantes à l’Ecole Supérieure d’Art de Dijon.
Pendant un certain temps, j’ai adopté une position de retrait, observant de loin les chemins empruntés et empreintés qu’elle déroulait dans son travail. La série « la dame aux dentelles bleues », réalisée en 2008 m’a interpellée. J’y voyais un processus créatif s’installer physiquement dans l’image.
Photographe de l’humain, du non-dit, Sandrine a un désir de neutralité photographique et je savais qu’elle respecterait assez le silence de mon intimité pour rendre compte de ce qui était à l’instant des prises de vue.
Nous avons mis en place, ensemble, un protocole de prises de vue simple et en lien avec nos attentes personnelles. Une fois par an, Sandrine me prenait en photo dans un lieu qui était le mien à ce moment-là. Elle a l’habitude de prendre en photographie les gens chez eux, dans leur intimité et se faire oublier. Je n’avais pas de chez moi comme j’étais absente de mon corps. Les photographies ont été prises dans des lieux impersonnels dans lequel elle tenait une place.
Cette année, 2014, mon espérance de vie étant revenue à la « normale », les séances de prises de vues ne se justifient plus ni pour l’une, ni pour l’autre même s’il y a toujours un désir de continuer, ensemble, ce travail.
Des questions sont venues se greffer à cette réalité : que fait-on de ce travail, maintenant ? Comment le montrer en continuant à l’intégrer dans notre démarche créative commune et personnelle ? Comment faire sens ? Quelle place donnée à la photographie dans un monde rempli de photos ?
Jérémy Le Gouic a proposé un nouveau protocole que nous avons accepté, une expérience. Dans un premier temps, Sandrine sélectionne les photographies qu’elle trouve intéressantes, expliquant ou non pourquoi ce choix. Puis, je les commente expliquant en quoi ce choix m’intéresse ou pas en essayant d’être le plus en vérité avec ce que je reçois et perçois de ces photographies.
Karen Le Ninan, artiste auteure
Quelques apostilles signées Karen Le Ninan :
« Infiniment comblé, infiniment plein », juillet 2012
Hôtel des Ducs. Chanter. Entrainement.
Nouvel apport au corps.
Respirer Comme un chef d’orchestre
Métrique
Je recherche la coordination juste qui me permettra de produire un son harmonieux. Tout mon corps est sollicité. Il se réveille.
Torse nue devant mon miroir. Le matin. Au début.
Etonnement de la puissance sonore qui sort de mon corps et de l’effort physique que cela me demande.
Respirer
Le diaphragme s’étend, se ressert jusqu’au niveau du sacrum et du coccyx.
Je pose ma main sur mon ventre puis sur mes basses-côtes ou les deux en même temps.
Je sens mon instrument à vent se déployer.
Respirer
Je laisse mes mâchoires descendre.
Et, le pharynx, et la langue…
Torse nu devant l’objectif comme devant mon miroir
« au milieu de nulle part », juillet 2012
Le corps est un paysage. Le payssage est un corps. Au milieu de nulle part, des monts, des vallées, des creux où l’eau peut se loger puis s’écouler plus ou moins lentement selon le mouvement des plaques tectoniques de la terre. Corps. Ce cadrage offre un point de vue décentré de la ligne d’horizon ; une image longiligne et animale. Ici, est donné à voir une forme de mon essence. Cette photographie en est l’épure.
« pour temps-2 », août 2011
Cette photographie pourrait appartenir à tout le monde. Elle pourrait être extraite d’un magazine culinaire ou de décoration. Elle pourrait être un constat d’une situation donnée.
Elle pourrait être le départ d’une narration. Cette photographie représente un jardin à ciel ouvert où une quantité de couleurs se multiplient à l’infini aux reflets de la lumière du jour et de la nuit. Dans ce jardin, des formes très diverses, toutes différentes. Elles se ressemblent en apparence. Bien que ce ne soit pas son but premier, cette photographie rappelle le contexte actuel de crise économique et alimentaire, le prix du riz, des matières premières de manière générale, les questions écologiques, les rizières et la main d’œuvre employée. Ce jardin nourrissant est bavard pour celui qui prend le « pour temps » de s’asseoir et de dialoguer avec lui.