(…) En 2014, Sandrine Berger a décidé de recréer une série photographique en reliant, en faisant dialoguer plusieurs de ses séries déjà existantes (« La dame aux dentelles bleues », « L’espoir du peintre », « aucun bruit ne sourd », « Lady Chatterley » ….). En effet, « Seul, le silence » confronte plusieurs de ses « modèles » : ils ne se connaissent pas, ne partagent rien, n’habitent pas la même ville…

Et, il serait facile de n’y voir que le « spectaculaire » des corps : tatouages, mutilation, vieillissement… alors que l’histoire est aussi ailleurs.

Montée comme une boucle fictionnelle, la série joue alors sur des entrées, des sorties, des plans fixes, des flous, des regards plantés droits vers nous ou encore ces lumières qui disent par la fenêtre nos espoirs et nos irrémédiables angoisses. Le mouvement de la vie…

Mais il y a aussi tous ces petits riens que nous plaçons tous dans nos intérieurs et qui disent plus de nous que nous. Objets posés là par similitude de couleurs ; trophées d’un moment vécu, un bouquet offert ; médaille porte bonheur ou médaille de guerre, grigris de survie. Une certaine fixité du passé…

On pourrait alors parler de précarité des existences et de natures mortes…mais de morts ici il n’y en a point.

Il y a des êtres fiers, cabossés certes mais debout, mobiles et assumant avec délicatesse leurs histoires et l’Histoire, le chant de la saudade…

Probablement aussi que Sandrine Berger aura enregistré quelque part que, dans les écoles flamandes et hollandaises du 17ème siècle, on ne désigne pas la peinture d’objet, symbolique de notre rapport à l’existence sous le mot de « nature morte ». Le terme est « stilleven », « nature immobile », ensuite adopté par les Allemands (Stilleben) et par les Anglais (still-life), pour désigner ce type d’images qui se traduirait par « vie silencieuse ».

« Seul, le silence » est en fait le bouleversant fracas de nos communes fragilités d’humain.

Extrait texte : Isabelle Bryard, plasticienne intervenante, conférencière en histoire de l’art