J’ai rencontré Moulika il y a environ quatre ans. Cette femme octogénaire a su tout de suite susciter mon intérêt. Une mémoire des dates impressionnante pour son âge. A chaque rencontre, elle me rapporte les événements marquants de sa vie ou de simples anecdotes amusantes, mais toujours avec une précision remarquable. Comme ce jour de printemps 1946 où elle a dû quitter son Algérie natale, une histoire émouvante.
En début 2012, elle a dû se résigner une nouvelle fois à partir de sa maison familiale.

J’ai alors décidé de rapprocher ces deux événements marquants en « racontant » sa vie.
Une vie bien remplie, passionnante et attachante.

Avec son consentement, je me suis rendue dans sa maison où j’ai « écrit en images » cette histoire qui s’achève. Dans ces lieux désertés, remplis de silence, les cartons en partie achevés, le temps était alors suspendu.

J’ai alors improvisé photographiquement.
Je me suis délibérément glissée dans cette vie ; je m’en suis approchée au plus près, comme pour m’y fondre.
J’ai recherché des signes, des détails, tout ce qui pouvait faire sens. Accumulation de clichés épars, divers et variés, sans aucune idée préconçue. Le poids de toute une existence.
Comme un reportage, une « fouille » des lieux, d’une vie… Avec une nécessité intérieure, j’ai photographié les objets du quotidien d’un lieu délaissé. Dans l’urgence j’ai capté des instants qui allaient disparaître ; l’insignifiance de ces fragments de vie, qui pour moi n’en demeurent pas moins sublimes, dans leur simplicité. Chronique singulière et subjective.

« Réminiscence », une nouvelle histoire de l’intime…

Pour la galerie Room38, j’ai créé une installation toute particulière avec la série photographique « Réminiscence » qui participe à une mémoire affective et collective. Elle s’inscrit à sa façon dans une tradition commémorative et nostalgique assumée.

Au mur, trois grands portraits encadrés d’une femme âgée sont accrochés sur du papier peint désuet.
Au centre de la pièce, un agencement de boîtes en carton. Certaines, entrouvertes, révèlent au spectateur une vingtaine de petites photographies d’aspect vintage.
En confidence, une voix féminine relate l’itinéraire d’une vie.

Ce dispositif tisse une véritable aventure du regard, et met en exergue nos propres souvenirs.
Pénétrer dans cette installation photographique c’est se plonger dans les réminiscences du passé d’une femme captivante et se les approprier.

Sandrine Berger